Arnold Lagémi

« Dans le village de Taintrux,  près de Saint Dié, dans les Vosges, ke 29 Août 1914 (un samedi, le jour saint des Juifs), l’ambulance du 14^ème corps prend feusous le tir des Allemands. Les brancardiers emportent, au milieu des flammes et des éclatements, les cent cinquante blessés.

L’un de ceux-ci, frappé à mort, réclame un crucifix. Il le demande à Mr Abraham Bloch, l’aumônier israélite, qu’il prend pour l’aumônier catholique. Mr Bloch s’empresse ; il cherche, il trouve, il apporte au mourant le symbole de la foi des Chrétiens. Et quelques pas plus loin, un obus le frappe lui-même. Il expire aux bras de l’aumônier catholique, le père Jamin, Jésuite, de qui le témoignage établit cette scène.

Nul commentaire n’ajouterait rien à l’émotion de sympathie, que nous inspire un tel acte, plein de tendresse humaine. Un long cortège d’exemples vient de nous montrer Israël qui s’applique dans cette guerre à prouver sa gratitude envers la France. De degré en degré, nous nous sommes élevés ; ici la fraternité trouve spontanément son geste parfait : le vieux rabbin présentant au soldat qui meurt le signe « immortel » du Christ sur la croix , c’est une image qui ne périra  pas. »

Maurice Barrès – Les diverses familles spirituelles de France p 72, Paris, Plon.

Réfléchir sur ce texte du grand Maurice Barrès est intéressant  à bien des égards. Il montre et confirme,  à une époque où il devient difficile de convaincre,  que la fidélité et l’attachement à la France  ne sont pas incompatibles avec l’adhésion au sionisme, valeur essentielle de la Tradition juive.  En effet, progressivement et de manière insidieuse, les sionistes sont désignés comme « étrangers » à l’intérêt français. Le Judaïsme est souvent présenté comme l’aveu d’un communautarisme étroit et dangereux. Maurice Barrès démontre dans ce texte généreux qu’il n’en est rien !

La qualité citoyenne que  les Juifs ont exprimée au cours de l’histoire,  allant parfois  jusqu’au sacrifice suprême, comme en témoigne l’exemple de Maurice Barrès, où l’attitude de certains d’entre eux pendant la seconde guerre mondiale et, plus particulièrement dans la Résistance et à Londres aux côtés du général de Gaulle, donne droit, sinon à des égards, du moins à la dispense de propos offensants.

Indirectement, ce texte, par sa démonstration du dévouement et de la gratitude des Juifs de France, justifie et valide la légitimité de l’exigence de ces derniers pour obtenir réparation de l’offense de la statue infâme de Strasbourg. Il enlève tout crédit, en tout cas, au silence soutenu de l’Eglise à ce sujet.