Lettre à mon père, (2)
En cette veille de Kippour, je publie une seconde fois, cette « Lettre à mon père » parce que l’accélération des évènements donne aux questions évoquées dans ce texte, un caractère d’urgence. Une composante nouvelle, toutefois, ébauchée lors de la précédente publication, mais affirmée désormais sans aucune possibilité de l’esquiver : la question de l’Alyah des Juifs de France ! Légèrement modifié, le contenu, plutôt grave de cette lettre, oblige à prendre quelques minutes d’arrêt, à opérer un léger recul, à considérer, le présent, surtout l’avenir. Et répondre à la seule question qui récapitule bien des interrogations : Quelle vie se prépare en France pour nos enfants et petits-enfants ?
Mon Cher Papa,
De Paris, capitale de lumière devenue opaque chaque jour davantage. De Paris, donc, où des voix assassines exhumées d’un passé diaboliquement vivace, viennent de réclamer « l’égorgement des Juifs, » cette lettre écrite pour toi, quelques jours avant Kipour,
Cette lettre que je ne posterai pas, je l’adresse bien plus à cette image du père idéal enfouie au fond de ma déception et à laquelle ton égoïsme n’a jamais su donner vie. Et oui, comme Anne Franck a imaginé Kitty, je t’ai inventé, je t’ai engendré même, car tu m’es nécessaire et, en te disant cela je te donne la plus belle preuve d’amour que tu ne mérites pas, quand bien même tu es le fruit de mes rêves…
En vérité, j’ai plus à te dire qu’à t’écouter.
Tout comme des centaines, voire des milliers d’autres Juifs, je suis aujourd’hui dans l’inconfort prévisible qui m’obligera sous peu à faire un choix. Rester Français en France, avec le folklore juif saupoudré ou, faire le grand saut et rejoindre tous ceux qui ont fait le choix historique, de s’associer au Renouveau de la Nation Juive. Je dois choisir un front, une bataille, une guerre même ! Paris ou Tel Aviv ?
Pourquoi ce choix maintenant ? Parce que la France que j’ai aimée (j’emploie déjà le passé !) elle n’existe plus que dans les livres et mon souvenir ! Cette France « nouvelle » a honte de ses lustres qui, même éteints, restent les témoins de sa grandeur et sont dans l’attente de cette main qui leur redonnera vie et flamboiement.
Ces lustres désespérément blafards furent l’énergie souveraine qui lutta contre l’injustice et l’infamie. Et la France honteuse, défigurée, éteinte, n’est pas ma France !
Hier, je me suis promené sur les Champs Elysées, me suis attablé à la terrasse d’un café prestigieux. J’avais peine à supporter la chienlit qui m’entourait. Brusquement, j’ai senti plus que compris, comment on pouvait devenir sioniste. Certes, j’ai découvert Israël dans un mouvement de jeunesse et, d’emblée, la vocation de ce petit peuple a été la mienne que j’ai su partager avec mon admiration affectueuse pour la République Française. Mais il faut choisir ! Albert Camus disait qu’ « Il n’y a pas de choix sans sacrifice. » C’est bien vrai. Je ne suis pas prêt au sacrifice.
Il n’est plus possible de rester en France sans choisir car, plus nous avançons, plus ces deux réalités deviennent antinomiques. Un ministre Français vient de mettre en doute le caractère Juif de l’Etat. C’est une déclaration de guerre, et tout le monde fait semblant de ne pas comprendre.
Je ne vivrai pas dans un pays où l’on réclame par des hurlements de bête, « l’égorgement des Juifs ! » C’est toi qui me l’a appris, « on ne se couche que pour dormir ou mourir » Je n’accepterai pas de vivre couché hormis, ces deux éventualités. Fierté et dignité sont en jeu. Et l’on a pris l’habitude de les acheter au rabais. Je ne veux de cette vie, ni pour moi ni pour mes enfants, ni pour…toi, au nom de ce dépassement qui te fut si cher et qui te conduisait souvent à m’inviter quand, enfant, je voulais jouer, à me dire : « Fais la course avec toi ! Dépasse le paresseux qui est en toi ! » Si tu savais, comme cela m’a aidé. Mais l’heure n’est pas à la nostalgie.
Cher papa, tu as aimé la France plus que tes enfants, dis-moi la vérité. A-t-on une chance de redonner à la France son vrai visage ou faut-il la quitter si l’on veut vivre, fier de ce que l’on est ? Redevenir hébreu est un idéal que ne condamnerait pas Rousseau mais que deviendra, sans moi, cette histoire à laquelle je tiens tant ? Et que deviendrai-je, moi, sans cette histoire qui est une partie de moi-même ?
Mon vélo a deux places, mon cerveau a deux cases et ma maison a deux pièces. Choisir l’une, c’est rejeter l’autre !
Aide moi à trouver le « deux en un ! » Seul je n’y arriverai pas ! Comprends bien. Pour toi, être Français était la base à partir de laquelle on envisageait les options. Aujourd’hui, je ne maîtrise plus ma peur, car je sais et je sens qu’Albert Camus avait raison.
Ton fils
Bonjour, mon cœur a deux ventricules et deux oreillettes qui ne se rejettent pas, maintenant après les « hurlements » entendus samedi dernier devant la représentation diplomatique de l’oncle Sam la question posée et si justement argumentée mérite réflexion comme ses interrogations qui perturbent le juste sommeil du guerrier conscient des responsabilités qui sont siennes. Que dire ou plutôt écrire si ce n’est que « hashem » adore quand un plan se déroule sans accrocs. Cordialement à vous Arnold.