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Extrait de : « Les soleils d’Algérie » Nouvelles d’Arnold Lagémi. A paraître prochainement.

Assimilée par contexte et intégrée par choix, faire disparaître ce qui restait de Juif était un des objectifs culturels  de ma famille, inavoué certes, mais vécu chaque jour avec l’ardeur renouvelée d’une attirance réelle pour tout ce qui s’identifiait comme  éloigné du peuple Juif et de sa tradition.


Pourquoi cette allergie, ce rejet des Juifs, de leurs semblables,  de leurs manières de faire ou de ne pas faire ? A vrai dire, je l’ai toujours ignoré  et aujourd’hui même, ses causes réelles sont recouvertes d’un voile opaque. Je crois deviner cependant, qu’ignorant tout  de la « chose juive,  » jusqu’à méconnaître la première lettre  de l’alphabet, ils en ressentaient une telle honte, qu’ils préféraient  renoncer au tout, au motif, du caractère obsolète de la culture juive, que de devoir expliquer, voire justifier un choix sectoriel qui,  dans le fond, leur convenait davantage mais les conduisant assurément  vers de sérieuses difficultés, ne pourrait éviter de leur être opposé comme la manifestation arbitraire du partial plutôt que du… partiel !



C’est ainsi que naturellement, je fus inscrit dans une école privée Catholique, après avoir tenté une classe de 6ème au Lycée Gauthier,  d’où je fus chassé pour indiscipline et perturbation.


Dès les premiers jours de scolarité, la Messe, à laquelle, je pouvais ne pas assister, mais à laquelle je participais, par curiosité, mais  aussi et surtout, parce que la pénombre de la chapelle,  me permettait de réaliser quelques « bons coups » au préjudice des bons pères, comme le pillage des boîtes d’hosties, ou l’étalement de savon liquide sur les escaliers menant à l’autel. Jusqu’à ce jour, je ne peux manquer d’amorcer, à l’évocation de ces impérissables souvenirs,  un sourire qui, s’il pouvait être partagé par un regard complice, ne manquerait pas de dégénérer  en un irrépressible fou-rire !


Deux ou trois années passèrent ainsi et je dus mon maintien dans cette école de l’aristocratie algéroise, au défenseur inconditionnel que la P.rovidence avait placé sur ma route en la personne du Père aumônier de l’école, ex moine trappiste qui, avec l’accord du Supérieur Général,  avait délaissé le silence monacal pour l’évangélisation héroïque des élèves fréquentant les lycées Catholiques d’Alger. Je sus, par la suite, que le Père M… ( avait, plus d’une fois, en Conseil de Classe, fait observer, que mon attirance pour la lecture des manuels d’apologétique, laissait prévoir une possible conversion  que, « mes talents divers transformeraient, en militantisme actif au service de l’Eglise. »


C’est ainsi qu’en compagnie du Père M… je fis de nombreux séjours à l’abbaye de Notre Dame de l’Atlas, près de Médéa où la rencontre avec…le silence, le vrai n’alla pas, sans laisser de profondes traces ! Je me rappelle que le père Hôtelier, montrait avec fierté le nécessaire de tonsure en or massif, offert par  Napoléon III, lors de sa visite au monastère ou ce vieux moine venu se jeter de tout son long devant le père abbé implorant son pardon, parce qu’il avait réservé à un autre usage que la prière, le son de sa voix !


Quand j’eus treize ans, se réalisa une promesse accomplie par mon oncle, grâce à mon grand-père maternel, autorité tutélaire, dont le prestige auréolé d’une Légion d’Honneur (accordée par le généralissime Foch et remise sur son lit de blessé à l’hôpital de La Pitié Salpétrière par le génral Franchey d’Espéray, Gouverneur militaire de Paris) était tel,  qu’entre autres,  c’est lui qui décidait quel prénom porterait le petit fils ou la petite fille qui venait de naître. Son séjour aux USA, dans les années fondatrices de l’Amérique, lui avait rendu si sympathique ce pays,  que tous les prénoms choisis pour ses petits enfants étaient  d’origine anglo-saxonne. De Wilfried à Katty ou Edith, ainsi furent-ils (ou furent-elles prénommées. C’est ainsi qu’Arnold fut désigné!


Là  n’est pas le sujet, mais de singulières complicités m’unirent à ce grand-père, dont j’ai probablement hérité du goût non caché pour les blagues farces et autres raisons de rire et que le destin m’avait arraché bien trop tôt. Un dimanche donc  de l’année de mes treize ans, au moment où le café était servi, et mes parents présents, un de mes deux oncles, fils de mon grand-père décédé  m’interpella : « Et ta Communion, Arnold, est prévue pour quelle date ?  Le mot « Communion » avait été délibérément choisi  par de nombreuses familles pour sa connotation non juive.


Je me suis souvent  demandé quel pouvait être le sens de cette question posée par un homme aussi éloigné des choses du C.iel que pouvait l’être un Juif d’Alger, dont le père, Officier au 4èmezouaves, Officier de la Légion, Conseiller du Commerce Extérieur, fondateur d’une conserverie célèbre, les Confitures « Jeannette », qui, dès le statut des Juifs promulgué par Pétain, alla à la sous-préfecture de Blida restituer ses décorations qui lui avaient été remises par une « France qui venait de trépasser. » Grand-père, sur le certificat de décès duquel était portée  la mention « Mort pour la France. » Aussi, la question de ma Bar-Mitsva par son fils, ne ressemblait pas aux préoccupations de cette famille qui était la mienne.


Je sus bien plus tard que mon grand-père avait fait promettre à son fils sur son lit de mort qu’il se chargerait de cette formalité si mes parents ne la prenaient pas en charge


Je ne me rappelle plus de la réponse qui fut faite par ma mère ou mon père. Une réception « grand style » avec orchestre fut prévue pour un dimanche soir. Et l’on pensa à une foule de détails mondains, à l’exception de l’achat des téfilines et de l’office religieux qui devait se dérouler le jeudi précédant la réception du dimanche soir.


La chronologie et l’ordonnancement des étapes envisagées pour cette célébration m’échappent aujourd’hui. Mais ce dont je me souviens avec l’exactitude d’un constat d’huissier, c’est que ce jeudi matin où j’aurais du me trouver à la synagogue, récitant les bénédictions d’usage en mettant les téfilines, j’étais en cours d’apologétique et le prêtre  traitait des preuves de l’existence de D.ieu chez Descartes. Un élève entra dans la classe et chuchota quelques mots à l’oreille du prêtre qui me dit avec une forte voix : « Lagémi, le Père Supérieur vous attend immédiatement dans son bureau. »


Je descendis donc les escaliers, le plus vite que je pus et, dans le bureau du père Supérieur, se trouvaient,  l’air dépité, comme jamais je ne les ai vus, mon père qui, en plus, avait ce mouvement d’épaule, qui  semblait se disculper de sa présence, par un mouvement perpétuel du cou et mon oncle qui, les larmes dans les yeux et la gorge  ne tarda pas à exploser d’un sanglot qui n’en finissait pas après m’avoir dit précipitamment: « Arnold, aujourd’hui tu es majeur et responsable selon la Loi juive, tu dois mettre les téfilines. »


Ces quelques mots prononcés dans le bureau du père Supérieur, un immense crucifix au mur,  avaient quelque chose d’insolite, de surréaliste  qui dépassait nos pauvres vies. Je reçus mes téfilines, un taleth et une kippa. Mais le fin du fin, est que ni mon père, ni mon oncle ne savaient comment mettre des téfilines. Je fus aidé par… le Supérieur de l’école, qui dit se souvenir des gestes qu’il avait vus faire par un groupe de juifs à Drancy où il fut interné pour Résistance avant d’être déporté. Il eut la délicatesse de se couvrir la tête d’un béret basque avant de lire en hébreu le texte des deux bénédictions requises.  Il aurait pu refuser sous n’importe quel prétexte. Sans jamais pouvoir l’expliquer, ce qu’il fit à cet instant, me parut être la quintessence  de la générosité.  Je lus dans ses yeux beaucoup de tristesse. Dès cet instant, il sut, que j’étais perdu pour l’Eglise.

(Extrait de : « Les soleils d’Algérie » Nouvelles. A paraître prochainement.

7 Réponses à “Le Supérieur d’une école Catholique célèbre ma…Bar Mitsva ! par Arnold Lagémi”

  1. elyane dit :

    Je veux connaitre la date exacte de la parution, l’éditeur que je puisse vous lire en entier!!
    L’important est que vous ne soyez pas « perdu » pour nous, vous au moins vous avez résisté au bucher…des vanités!!
    Merci Arnold de ces morceaux de « Les Soleils d’Algérie »

    LE HAIM Arnold aux Soleil d’Algérie !!!

  2. Fiodor dit :

    Quelle noblesse dans ce geste! On rêverait de rencontrer souvent des hommes de cette trempe.
    Merci pour ce récit. Je comprends mieux pourquoi vous placez très haut – et vous avez raison – l’exigence de justice de la part de l’Eglise.

  3. Danilette dit :

    Nous sommes nombreux à attendre la parution de ce livre, cet extrait est un régal !

  4. Bonjour,

    un commentaire vient d’être posté par Nina sur l’article Le Supérieur d’une école Catholique célèbre ma…Bar Mitsva ! par Arnold Lagémi, sur votre blog Regard d’un Ecrivain sur le Monde

    Extrait du commentaire:
    TEXTE MAGNIFIQUE !

    Elégance des mots et des pensées. Commencer la journée par une jolie lecture est une bénédiction.

    Merci mille fois Monsieur Lagémi. C’est du pur bonheur car vous ne cachez rien, vous êtes redoutablement sincère.

    voir le commentaire dans la zone d’administration ou sur votre blog

    L’équipe de over-blog.com

  5. meller danielle dit :

    j attend avec impatience la sortie de votre livre

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