Un enfant d’une dizaine d’années, le regard pétillant au dessus d’un visage moqueur sonna à ma porte un jour de la semaine passée. Après avoir écarquillé ses grands yeux noirs, afin d’être bien sûr qu’il n’y avait pas de doute sur mon identité. La formalité accomplie, il me tendit, d’un air décidé, une petite enveloppe au contenu plutôt pesant, en me déclarant d’une voix solennelle : « De la part du Messie ! » Je tentai, alors qu’il dégringolait l’escalier, de hurler dans sa direction avec toute la force de mes cordes vocales : « Mais lequel ? Le Juif ou l’autre ? »
J’entendis très distinctement sa réponse, articulée comme une leçon préparée et suivie d’un rire presque fou: « Celui que tout le monde attend !» La réponse était dite par un enfant mais ce n’étaient pas des paroles d’enfant ! Et si c’était….Et il choisirait un enfant ! Et pourquoi m’informer ? Moi ?
Je m’asseyais à même l’escalier. A ma mine déconfite ou hilare, les voisins qui formaient grappe autour de moi, mimaient mes expressions en tendant l’oreille et, vu que presque tous étaient sourds, tentaient de m’imiter sans, pour autant, laisser paraître qu’ils ne saisissaient pas le sens du message. Car, c’était bien d’un message qu’il s’agissait, d’une mise en garde, d’un avertissement.
La première phrase lue, je tournai les deux pages afin de savoir qui l’avait signé. Je lus, pétrifié, sans bouger, même mes doigts restaient figés, raides effleurant à peine le papier, juste pour ne pas qu’il s’envole : Ben David Ha Machiah.
J’éclatais d’un rire sonore et portant mon doigt sur la tempe, je fis comprendre qu’il s’agissait d’un conte de Pourim ou que l’auteur était un « dérangé » comme on en rencontre souvent dans les vieux quartiers de Jérusalem. Je rentrais chez moi et assistai à la naissance d’une impression singulière et originale qui, partant de la gorge où elle avait pris naissance et fait halte, en y formant un nœud persistant, descendait maintenant dans le thorax en y laissant cette réaction d’angoisse qui faisait battre mon cœur, plus vite que d’habitude.
« Et si ce n’était pas une histoire de Pourim. S’il avait choisi Pourim, précisément pour me mettre à l’épreuve. En effet, la venue du Machiah est assurée, mais la date est inconnue. Et nulle part, il n’est prévu que la venue du fils de David n’aura pas lieu à Pourim. Je m’assis autour de la table et relus la lettre, non plus de manière désinvolte, comme tout à l’heure mais avec la certitude que quelque chose de sérieux, voire plus, était lié au contenu de cette missive.
Mon très Cher Arnold,
Tu as été désigné pour faire connaître les conditions que moi, fils de David, Roi Messie désigné à cette messianique mission je pose pour régner en Israël et apporter au monde la Justice et la Paix : Tu devras publier, toute affaire cessante, que les Chefs des pays Européens, d’Amérique du Nord et du Sud se retrouveront le Jour de Pourim chez Tata Léonie qui leur préparera une B’kaïla tunisienne aux épinards.
Ensuite, ces dirigeants désigneront un (ou une) Chef de Gouvernement qui proclamera que la réalité messianique débutant le Jugement, se manifestera sous quelques heures. Ils devront donc, très vite, savoir, si désirant mettre toutes les chances de leur côté, ils sont prêts à dire M’Hila,(pardon !) au peuple juif, au moment précis où le chaliah Tsibour de la synagogue de Massy commencera la lecture de la Méguila d’Esther.
C’était un conte de Pourim. Le doute n’était plus possible. Mais la (re) lecture de la suite m’emplit d’une inquiétude débordante qui commençait à me rendre nerveux. « Le lendemain de Pourim, à Jérusalem, une jeune fille de douze ans que tout le monde nomme Esther La Clairvoyante, parce qu’elle sait lire l’avenir dans les restes de nourriture qui jonchent l’assiette de tonton Moïse, le mari de tata Léonie, la reine de la B’kaïla, grimpera sur le petit balcon ouvragé en ferronnerie, face au Kotel. Elle portera le signe de celles qui voient loin, vite et bien !
Ses yeux seront couleur de jade mais son œil gauche virera au bleu marine dès qu’elle côtoiera une créature condamnée. Les résidents de Jérusalem seront les premiers sur scène et qui ne viendra pas sera immédiatement nommé par Esher dont l’œil gauche aura viré au bleu méditerranéen.
Puis, viendra le moment que tout le monde attend avec angoisse : la nomination du Chef de l’Etat, du Premier Ministre et de chaque membre du Gouvernement afin de vérifier s’ils ont rempli leur mission conformément aux volontés du Peuple, dans le respect de la Loi de Moïse, notre Maître. Cette dernière assignation va faire désordre ! Sûr !!! Tous espéraient qu’ils n’y verraient que du feu, pardon, que du jade, sans la moindre concession au bleu. Que les intentions ne tiennent pas face aux réalités. Ce principe, morale des Nations, ne passe pas chez les fils de Jacob. Et le gouvernement ne pourra échapper au bleu magistral !
Arnold, tu n’oublieras pas de publier les variantes de ce jugement, à savoir nécessité d’une joie débordante qui accompagnera les résolutions fermes que les journalistes prévenus attendront de constater en faisant le gué devant la petite maison de tante Léonie toute occupée à trier ses épinards.
Résolution : En gage de volonté de paix le Président Obama apprendra au Président Chimon Pérès le cha cha cha Argentin, lequel Président d’Israël guidera le Chef de la maison Blanche dans l’apprentissage de la Hora.
Quant au Président de la République Française, il s’engagera à initier sa gracieuse Majesté à la bourrée auvergnate, pendant que Philippe d’Edimbourg démarrera un rock and roll endiablé avec la Chancelière allemande.
L’ère messianique commençait à chasser la prime angoisse qu’une première lecture avait suscitée, quand je ne vis plus devant moi que deux yeux au jade flamboyant, qui illuminaient tout ce sur quoi ils se posaient. Ma femme m’interrogeait, l’angoisse perceptible, dans une voix qui avait perdu sa fraîcheur en devenant chevrotante :
« Arnold, qui est donc cette Esther à qui tu ne cesses de demander : « je t’en prie, M’hila, ne me regarde pas. Surtout pas avec le gauche ! Je suis sûre que tu n’as pas pris tes antibiotiques hier. »
Je me vautrais apaisé dans des draps mouillés par la sueur. Mais je pus cependant formuler dans une fièvre que je sentais me hisser sur des sommets.
« Dis moi, la couleur des yeux, peut-elle changer au cours d’une vie? » Ma femme qui s’était éloignée, revint sur ses pas, visiblement affolée. J’en profitais pour articuler, dans un rire que je dissimulais sous l’oreiller, « J’aimerais bien manger une B’Kaïla pour Pourim !
Cher Arnold,
Merveilleuse histoire que vous nous contez là, vous faites partie de nos conteurs juifs qui nous enchantent et nous font nous poser des question. j’ai beaucoup aimé ce texte, oui vraiment beaucoup.
Aussi, comme je suis assez émotive, je n’en dirai pas plus, je sais que vous aurez compris ce que je veux dire.
Merci Cher Arnold, et LE HAIM JUSQU A…120 ANS, et meme plus, car quand on aime on ne compte pas!
Merci de savoir tout ce que j’ai mis dans ce texte, rien qui ne vienne de la tête mais tout de l’estomac et des tripes. Rares sont les privilégiés qui savent lire avec leurs coeurs. Vous avez là la garantie que « l’essentiel ne vous échappera jamais! »
Je vous embrasse Elyane. Que D.ieu vous garde!
Et Léhaïm !