La présidente du Front National a prononcé, il y a quelques mois, son discours inaugural de campagne. Nous en faisons une lecture critique avec Nicolas Lebourg – Chercheur et spécialiste de l’extrême droite. ( Le Nouvel Observateur.)
« Au-delà des quelques mesures qu’elle a prônées, elle a fait montre d’un positionnement et d’un style qui balancent entre stratégie de différenciation, vis-à-vis des précédentes campagnes présidentielles de son parti, et continuités, quant à l’histoire de son courant politique.
Alors que, durant la bataille pour le leadership frontiste, les partisans de Bruno Gollnisch moquaient son manque de culture politique et de colonne vertébrale idéologique, elle a démontré qu’elle avait su travailler son style et approfondir sa vision. Son vocabulaire s’est enrichi de références non remarquables par le grand public, mais qui font sens. Tâchons d’en décrypter quelques-unes…
Continuités
La manifestation lepéniste se nommait « le banquet des mille ». Soit un intitulé qui reprend celui de la manifestation du 14 mars 1948, tenue pour protester contre l’épuration politique et l’ostracisme frappant les anciens soutiens du régime de Vichy. Marine Le Pen a décrit la France telle « une patrie charnelle », une formule empruntée à Charles Péguy, écrivain nationaliste mais dreyfusard.
Elle a affirmé vouloir « mettre l’économie au service de l’homme ». Une formule apparemment passe partout mais qu’on doit au célèbre économiste François Perroux. Dans les années 30 puis sous Vichy, il se fait le chantre d’une économie de troisième voie, entre le plan et le marché, qui se devrait d’intégrer le prolétariat dans la nation et d’assurer le respect de la dignité de la personne humaine au sein des communautés dans lesquelles elle s’inscrirait. Cette dimension, proche du courant de l’entre-deux-guerres qualifié de « personnalisme », se retrouve comme structurant l’ensemble des conceptions socio-économiques affirmées par Marine Le Pen dans son discours (défense de la personne contre le machinisme, l’ordre marchand, le bougisme ou le consumérisme). La « cohérence » dont elle se prévaut dans son discours s’est donc construite par des emprunts à des pensées antérieures ayant effectivement cette qualité.
Facettes
La candidate à la Présidence de la République affine sa rhétorique, ainsi quand elle conspue les « féodalités financières », reprenant une formule apparue dans les années 1840, souvent utilisée au profit d’une lecture complotiste du capitalisme, mais qui a été utilisée par bien des courants politiques, de droite et de gauche. Même constat lorsqu’elle évoque le « peuple tout entier », selon une expression assez ambiguë pour avoir été utilisée aussi bien dans la Constitution soviétique que dans l’extrême droite radicale. Ce sont là des locutions qui ont démontré à travers le temps leur capacité à « parler » à des secteurs très différents de l’opinion. Ses conceptions sur l’État stratège assurant une planification de la réindustrialisation ne sont d’ailleurs un marqueur à « gauche » que parce que la mémoire collective a oublié que les droites mettaient de telles idées à l’honneur avant leur conversion au néo-libéralisme – ainsi l’État de Vichy intervenait-il plus dans la direction de l’économie que celui du Front Populaire.
Marine Le Pen prend d’ailleurs bien soin de préciser que son « État fort » n’est pas un « État gros » afin de ne pas effaroucher les secteurs anti-étatistes ou anti-fiscalistes de son électorat. Elle le désigne également comme relevant du traditionalisme national : un État fort qui, de l’Ancien Régime à avant-hier, a combattu les féodalités et les communautarismes et y a puisé sa fonction sociale. Cet État n’aurait été déconstruit que par la politique « mondialiste » des élites. Un tel discours a l’immense avantage d’offrir des « portes d’entrée » diverses, aussi bien à la bourgeoisie traditionaliste qu’aux classes populaires. Se devant de gérer un électorat composite, Marine Le Pen parvient ainsi à donner cohérence à un programme inter-classiste.
Alternances
Dans le choix de ses mots, on entend aussi une référence à la langue latine et une autre à Solon, figure politique athénienne. Ses appels à la culture classique ne faisaient pas jusque-là partie de son registre mais étaient typiques de celui de son père. Ils participaient à sa légitimation symbolique en le différenciant positivement d’une classe politique obnubilée par l’idée de « s’exprimer comme le peuple ». Néanmoins, Marine Le Pen a pris soin d’affirmer qu’elle n’est pas une héritière. Elle souligne avoir toujours milité pour que son père préside aux destinées de la nation, et que c’est donc le destin qui l’amène aujourd’hui à sa place. Subtilement, elle se fait donc fille de la France plus que de son père, s’inscrivant dans ces grands récits, si classiques du nationalisme plébéien depuis plus d’un siècle, qui veulent que le guide émerge naturellement des forces vives nationales.
Elle aligne cependant quelques notables différenciations avec son prédécesseur. Outre « l’État fort », on note un éloge du rôle de l’école et de la méritocratie républicaine ainsi qu’une liste précise de réformes institutionnelles (alors qu’antérieurement les affiches de Jean-Marie Le Pen pouvaient proclamer « en avant vers la sixième République » sans que l’intéressé n’explicite guère plus le sens du slogan). Elle pose aussi une fin de non-recevoir aux positions de l’extrême droite radicale sur une conception raciale de la communauté, en prenant fait et cause pour une conception assimilationniste, de même qu’elle rejette fermement les conceptions européistes et régionalistes très classiques à l’extrême droite (par exemple au Bloc identitaire) au profit du cadre national. Toutefois, elle emprunte aux courants radicaux leur tradition de révocation du caractère occidental de la France au bénéfice d’une réorientation à l’Est, pro-russe.
Le discours-programme n’a pas avancé l’ensemble précis des mesures prônées par la candidate, dont la présentation est remise à janvier 2012. Mais la politique, et tout particulièrement à l’extrême droite, est également une affaire de style et d’esthétique devant parler aux masses. A l’évidence, Marine Le Pen s’est parfaitement glissée dans l’habit de candidate national-populiste à la magistrature suprême. Elle paraît entamer sa campagne en ayant travaillé une posture qui allie dans un discours global des aspirations diverses, pouvant ainsi lui permettre de viser dans le même mouvement des segments électoraux très différents et de mobiliser autour d’elle les militants d’une extrême droite idéologiquement très hétérogène. »
SOURCE : Nicolas Lebourg – Chercheur et spécialiste de l’extrême droite, pour Le Nouvel Observateur