Il y a d’ailleurs quelque chose d’humiliant pour moi, dans cette peur et cette haine des Juifs qui font qu’on se les représente comme très forts et qu’on se considère soi même incapable de soutenir une compétition avec eux. Les Russes étaient enclins à se croire faibles et impuissants lorsqu’ils avaient pour eux un immense Etat avec son armée, sa gendarmerie, sa police et regardaient les Juifs, qui étaient privés de droits humains et élémentaires et soumis à une persécution, comme invincibles dans la lutte.
Il y a là quelque chose de puéril. Le pogrom n’est pas seulement un phénomène honteux et inhumain, il est pour moi l’indice d’une faiblesse et d’une incapacité effarantes. En fait, si nous remontons à la source de l’antisémitisme, nous y trouvons souvent un aveu d’inaptitude. Car comment interpréter les regrets qui vous sont exprimés de ce qu’Einstein qui a découvert la loi de la relativité, Freud et Bergson soient d’origine sémitique, sinon comme un ressentiment d’hommes dénués eux-mêmes de talent ? Ces réactions comportent un élément pitoyable. Pour moi, il n’existe qu’un moyen de lutter contre la prétedue hégémonie juive dans la science et la philosophie, c’est de procéder soi même à des recherches, c’est d’effectuer soi même de grandes découvertes.
Nicolas Berdiaeff
Ce texte du philosophe russe traite un des aspects de l’antisémitisme auquel on n’est pas familier : c’est parce que l’antisémite se sait, se sent faible face aux Juifs qu’il le persécute. Il me semble que le raisonnement de Berdiaeff s’arrête en chemin et ne va pas au bout de sa cohérence et des conséquences.
Que veut dire se sentir faible, sinon reconnaître qu’Israël n’occupe pas qu’une place dans l’histoire mais qu’il y remplit aussi une mission. C’est en montrant qu’ils sont capables d’égaler leurs victimes que les ennemis d’Israël donneront une dimension morale à la compétition.
Arnold Lagémi
Le Christianisme et l’antisémitisme Revue du christianisme social Avril 193