En faisant figurer Kohélèt (l’Ecclésiaste) dans la liste des livres inspirés, les rabbins ont démontré une disposition avant gardiste, étrange et singulière, pour cette œuvre dont les accents désabusés et révoltés se rapprochent plus de Jean Paul Sartre et Albert Camus que des Maîtres du Talmud En effet, cet ouvrage dont l’auteur serait le roi Salomon indique la désespérance du royal fils de David face à toutes les initiatives humaines dont la motivation et les effets relèveraient essentiellement et exclusivement de la… vanité !
« Vanité des vanités, tout est vanité ! » Dès le début le ton est donné : désespéré, quasi tragique. « Ceux qui ne sont pas nés sont plus heureux que les vivants » qui n’ont pas grand-chose à espérer de la vie. Même la sagesse est vanité ! » L’intelligence n’échappe pas au couperet : tout est vanité.
Un réalisme sans pitié à chaque ligne dit que Kohélèt n’est dupe de rien. L’homme « travaille une vie durant et c’est un autre qui en profite » Un soupçon d’épicurisme à certains endroits quand Kohélèt insiste sur la nécessité de profiter de l’instant présent sans supputer sur l’avenir, car nul ne sait ce que demain lui réserve ! Est-ce vraiment le signe d’Epicure ?
Et puis brusquement, il prévient, « l’homme qui est capable d’être heureux ne doit pas s’en féliciter, car être heureux est un don de D.ieu » En quoi réside ce cadeau du C.iel ? « Cet homme aura toujours présent à l’esprit que les jours de sa vie ne sont pas nombreux, lors même que D.ieu alimente la joie de son cœur. » En dépit de la vanité de toute action humaine, il y a une issue à ce danger majeur : accepter l’arbitraire apparent qui fait que certains sont heureux et d’autres pas.
Si « philosopher, c’est apprendre à mourir, » Koélet se pose en réfutateur de ce pessimisme apparent en soutenant la thèse que la certitude de la brièveté de la vie est la seule donnée qui échappe à la vanité. Mais il affirme que se rendre compte de cette élémentaire vérité est un don de D.ieu. Regardons vivre autour de nous, nos amis, nos proches, tous se comportent comme s’ils étaient maîtres de leur vie, comme s’ils étaient éternels.
Il n’y a pas de doute que cette élémentaire vérité : savoir profiter de l’instant est un privilège accordé aux aristocrates de l’esprit, aux orfèvres de l’âme, aux « chéris du Ciel ». Comme l’affirme Salomon, « les désirs de l’homme ne sont jamais satisfaits. » Aussi s’enferme t-il dans leur poursuite, qui est vanité, car « tout n’aboutit-il pas au même point » ?
Ce livre traduit la lucidité d’un mortel, roi d’Israël de surcroît. Par vanité ? Peut être ! Mais dans un temps marqué par l’empreinte des rabbins gourous, des faiseurs de miracles et des kabbalistes de grandes surfaces, Koélet vient soutenir que si la vanité est bien comprise comme la seule signature de l’homme, si celui-ci a bien assimilé que la «clé » c’est savoir neutraliser la prospective et s’immerger dans le seul instant vécu, alors là et là seulement, insistera Koélet, l’homme aura plaisir à vivre. Il achèvera cette œuvre magistrale par ces paroles graves qui n’ont de sens que si l’homme a compris que né dans la solitude, il mourra dans les mêmes conditions.
« La conclusion de cette étude, tout bien considéré : Crains D.ieu et garde ses commandements, car c’est toute la tâche de l’homme. »
Nous avons quitté l’existentialisme, Jean Paul Sartre et Albert Camus pour retrouver l’authenticité d’Israël, dans la vérité, douloureuse, parfois, mais certainement plus digeste et plus digne que toutes les vanités proposées par ailleurs.