Je ne sais quand vous recevrez cette lettre griffonnée avant de partir pour ma première confrontation avec l’ennemi.
Au risque de vous surprendre je n’ai pas peur pour moi, mais pour… vous. En effet, s’il m’arrive malheur, l’idée de votre désarroi m’impose une bien pénible culpabilité que je tente d’exorciser en me rapprochant de vous.
Mon Cher Papa, je veux que tu saches que c’est à l’idée d’avoir l’ennemi face à moi et de devoir tirer, c’est-à-dire tuer, que ne me quittera pas ce que tu m’as dit et répété, c’est-à-dire, m’obliger à me « remplir de dégoût » pour ce que je vais devoir faire, mais qu’il faut accomplir comme un devoir imposé par l’ennemi.
En effet, probablement que la peur est à l’origine de ce que je ressens, mais je sais que je suis militaire par obligation et devoir. Je n’éprouve aucun sentiment proche de la joie ou de l’exaltation. Beaucoup de mes camarades ont les mêmes pensées en m’avouant qu’à quelques heures, peut-être moins, de l’épreuve du feu, ils pensent tous à leurs parents et aux propos échangés au sujet de la guerre.
Maintenant le plus difficile à dire à ceux de qui on tient la vie.
Si je devais ne pas revenir, sachez que je n’ai aucun reproche à vous faire, parce que vous avez eu très tôt la lucidité de me faire comprendre et admettre que la guerre fait partie de notre univers familier. Vous m’avez appris à ne pas tirer satisfaction ou plaisir à prendre la vie d’un autre. Et vous m’avez surtout conforté dans la certitude que « partir » pour que d’autres « restent » était ce qui justifie qu’on reste homme quand tout nous invite à ne plus l’être.
Ma petite maman, merci pour les gâteaux glissés dans mon sac. Je te promets qu’avant d’ouvrir le feu, j’aurais le goût de la maison au fond de la gorge. C’est pour retrouver ce goût de la maison, c’est-à-dire, vous, que je vous promets d’être prudent et le C.iel aidant, je reviendrai.
Papa, on est loin des livres d’histoire et du patriotisme. J’essaierai de ne pas me faire tuer pour retrouver les…gâteaux au pavot de maman !
Mais, des lumières scintillent. C’est le signal ! Juste le temps de mettre cette lettre dans le carton de la poste aux armées. Il faut partir ! Papa, maman, au revoir ! Attention à vous !
Dav