Toutes les traditions se fondent sur une révélation accordée au bénéfice d’un ou de quelques initiés. La Tradition juive est la seule à s’appuyer sur une révélation nationale. Ce qui revient à dire que ce que nous savons de la Loi et de l’histoire d’Israël, nous le tenons (ou sommes censés) le tenir de nos parents qui, eux-mêmes, le tenaient de leurs parents et ce, jusqu’au pacte conclu entre le peuple juif et le M.aître du monde au pied du Sinaï.
Cette révélation s’inscrit donc, dans un contexte particulier et exceptionnel où le « merveilleux » et le « miraculeux » s’effacent pour privilégier un type de relation fondée sur l’histoire d’un peuple signataire du contrat, le tout vérifiable et authentifié par la mémoire collective et, non, par un acte de foi.
Il est donc opportun de réfléchir à l’incidence éventuelle de l’éloignement de la Raison dans la perception de la Vérité, entendue dans un « contexte miraculeux ». Le type d’homme et de société qui appuient leurs croyances, non sur l’adhésion de la conscience, mais sur son renoncement, portent-ils les stigmates de cette mutilation ? Sont-ils reconnaissables ? Si oui, de quelle manière et sous quelle forme ?
Notons, pour l’anecdote que, si la Thora mentionne quelques évènements « extraordinaires », notamment, lors de la confrontation Moïse/Pharaon, c’est toujours en réaction, voire en légitime défense, et jamais pour initier à l’obligation d’arriver à l’énoncé d’une vérité doctrinale. Le Talmud évoque souvent pour les condamner, des faits surnaturels, comme ce Rabi qui, pour imposer son point de vue ordonna à une rivière de remonter son cours dans le sens contraire. Comme si un tel pouvoir soustrayait aux données communes de la condition humaine, tout en portant des ferments d’hérésies.
La Tradition d’Israël s’oppose avec véhémence, à cet enseignement de Thomas d’Aquin (dit St) : « La raison est débile dans les choses divines, » parce qu’elle juge, que si D.ieu parle aux hommes, Il s’adresse à l’homme dans la totalité de ses moyens de perception, Raison incluse au premier chef.
Le Juif proclame « Ecoute Israël, l’E.ternel, notre D.ieu est UN. » Par ailleurs, la Thora enseigne que « l’homme a été créé à l’image de D.ieu. » En d’autres termes, à l’unité divine doit correspondre la recherche de l’unité de l’homme. Si ce dernier laisse à l’abandon une partie de lui-même dans son appréhension du C.réateur et de sa volonté, nous entrons dans le paganisme qui, entre autres, est la négation de cette unité. Soit, c’est la raison seule qui est interpelée. Elle nous conduira à la philosophie puis à l’athéisme, forme laïque du paganisme moderne. Soit, c’est la sensibilité exclusivement qui est requise et l’on passera de la mythologie à la religion en sacrifiant sur l’autel de celle-ci, le cadeau inestimable qui permettait à l’homme d’être l’allié et non l’objet de D.ieu : la Raison.
Cet élément essentiel, de mesure et d’analyse ainsi neutralisé, la sensibilité et l’imaginaire deviennent les seuls moyens d’appréhension du divin. Le miracle reçoit ainsi ses quartiers de noblesse et devient le pain quotidien de l’esprit religieux. Peut être discerne t-on mieux, pourquoi il n’y a pas de religion juive au sens où l’on entend communément la définition du sentiment religieux. D’ailleurs, évoquer le « sentiment » à propos de la dimension spirituelle, implique une connotation païenne, puisque, le « sentiment » est loin d’être le seul concerné, dans l’identification de la relation au transcendant.
Le miracle, par définition, n’est pas objet de débat. Il s’impose. Il oblige à adhérer au message en chassant délibérément, toute possibilité d’en comprendre le déroulement. En fait, le miracle, par la violence qu’il implique s’adresse à la part la moins humanisée de l’homme. Il est l’aveu de la déchéance de l’intelligence.
La croyance dans une doctrine fondée sur le miracle aura d’autres conséquences souvent dramatiques. Si le (ou les) fondateur d’une telle doctrine a eu recours à la brutalité que constitue le miracle pour s’imposer et forcer l’adhésion, ses fidèles imiteront son exemple et, à leur tour, contraindront à l’abjuration par toutes voies et moyens qui trouveront assise sur l’intimidation… Le miracle possède une force dévastatrice exceptionnelle car il exalte tout ce qui rabaisse l’homme : la peur ; la panique, l’effroi en lui rappelant son insignifiance. L’homme que le miracle séduit, « séduira » à son tour par les mêmes moyens qui le mirent à genoux devant l’idole…
Le recours aux miracles est l’aveu que la petitesse de l’homme s’accommode fort bien de l’arbitraire humiliant du surnaturel. Nous sommes là sur les chemins indignes de tous les paganismes.